Résistance et déportation : quand la mémoire dépasse le traumatisme
et redonne son importance aux souvenirs
PORTRAIT. Du haut de ses cent ans, Jean Villeret est l'un des derniers déportés français de la Seconde Guerre Mondiale. De son expérience complexe, difficile et traumatisante pour le corps comme pour l’esprit, il conserve chaque souvenir dans les moindres détails : entretien avec une figure hargneuse de la Résistance.

Jean Villeret - Marie Mabilais
« Ça a meublé ma jeunesse, la guerre de mon père », nous confie-t-il dès que nous sommes installés autour de la table du salon. Né le 11 septembre 1922, Jean s’inspire dès son plus jeune âge d'une figure paternelle ayant combattu pour la France à l'occasion de la Première Guerre Mondiale. À 17 ans, c’est la Seconde Guerre Mondiale qui commence, et Jean n’a qu’une seule idée en tête : « j’ai dit à mon père : 'je veux m’engager dans l'armée française. J'ai 17 ans, je fais comme toi !' Mais mon père a refusé…», avoue-t-il, le sourire aux lèvres. Alors, Jean n’a pas d’autres choix : « on entend l’appel du Général de Gaulle depuis la radio de Londres. Là, je me suis dit qu'il fallait que je fasse quelque chose ! »
Un esprit rebelle
D'abord réfractaire à la relève, puis au Service du Travail Obligatoire, Jean est obligé de changer d'identité. Il s’appelle désormais Jean-Jacques Moreau. Il s’amuse : « ma fausse carte était très bien imitée ! » Le 31 décembre, il entre en Résistance. Un mois plus tard, il est arrêté sur dénonciation. « J’allais reprendre mon autobus, à Créteil, le numéro 104. J'étais dans la foule, à attendre que le bus arrive. Je me suis senti soulevé de terre, une mitraillette sur l’estomac. Un gars m'a dit : ' Bouge pas, Bill, t’es fait !' »
Après un séjour de presque cinq mois en prison, Jean est enfin emmené en Allemagne. Là-bas, le travail en camp de concentration commence, et Jean se souvient de chaque détails. « On nous a fait enlever nos fringues, on nous a rasé de la tête aux pieds, on nous a donné un autre vêtement avec un numéro. Le mien, c'était 19410. » Lever à 6 heures, appel, travail, casse-croûte, appel, travail, appel, couvre-feu. « On avait faim, alors bon ou pas, on mangeait. […] Tout était programmé pour que l'on meurt à petit feu. »
Le souvenir comme témoignage
Jean est libéré le 29 Avril 1945. « J’ai vu le premier un soldat américain, que j'attendais depuis 1940… Ça fait long ! » Lorsqu'on l’interroge sur la précision de ses souvenirs, il hausse les épaules. « C'est bien, de se souvenir. Que diraient les jeunes, sinon ? […] Je ne sais pas comment j'ai fait [pour me souvenir]. Je suis résistant, c'est comme ça. »
Si sa mémoire ne lui fait pas défaut, les émotions liées à ses souvenirs difficiles non plus : « je pense à mes camarades tous les jours, et ça me rend triste. Mais quand je passe dans les classes, même les plus durs m’écoutent. Et ça, c’est le plus important. »
Marie Mabilais